Ozon adapte Camus : un pari risqué, un film maîtrisé
François Ozon s’attaque à un monument de la littérature : L’Étranger d’Albert Camus. Un pari risqué, tant le roman semble peu fait pour le cinéma. Pourtant, le cinéaste réussit à lui donner chair, signant un film étonnamment incarné, porté par un Benjamin Voisin magistral.

Je gardais un souvenir mitigé du roman L’Étranger d’Albert Camus, que je trouvais un peu froid, manquant de chair romanesque, et assez différent des livres que je pouvais lire entre vingt et vingt-cinq ans, cette période où je m'ouvrais s’ouvre à l’art.
D’ailleurs, il est assez étonnant de voir ce livre peu aimable, finalement assez peu cinématographique, adapté au cinéma. Un projet casse-gueule, donc, auquel s’est attaqué François Ozon, transformant le récit de Camus en un objet filmique finalement plutôt abouti.
Ozon parvient à donner corps à un personnage principal pas facile, superbement incarné par Benjamin Voisin, malgré son côté hermétique, froid, sans émotion, détaché de tout, et fidèle à son principe de ne jamais mentir et de toujours dire ce qu’il pense. Un homme pour qui la présence des autres ne semble pas nécessaire. Le réalisateur en fait pourtant un vrai personnage de cinéma, dégageant en permanence une part de mystère, de froideur désarmante et agaçante à la fois.
Le seul moment où l’on sent les sentiments prendre le dessus sur Meursault, se situe dans la scène du meurtre, sur la plage, où Ozon, par quelques plans, dans sa manière de filmer le meurtrier et sa victime, laisse entrevoir que Meursault aurait pu tuer pour refouler une pulsion homosexuelle. Bizarrement, la suite du film n’en dira pas plus à ce sujet.
Du côté des personnages secondaires, là encore, c’est réussi : Rebecca Marder, solaire et rayonnante, forme un parfait contrepoint à Meursault, tandis que Pierre Lottin excelle dans le rôle du maquereau hâbleur, grande gueule et manipulateur. En toile de fond, l'Algérie de 1940 est particulièrement bien reconstituée, montrant à travers quelques plans bien choisis, tout le poids de la colonisation sur les autochtones.
La deuxième partie du film, articulée autour de deux grandes séquences, le procès, puis la prison, avec la confrontation avec l’aumônier incarné par Swann Arlaud, confère au film une dimension plus théâtrale, révélant encore davantage la noirceur d’un personnage qui restera jusqu’au bout fidèle à ses convictions, et plus que jamais perdu, étranger, dans un monde où il ne se sent pas à sa place.
❤❤❤
Durée : 2h02
Date de sortie en salle : le 29 octobre 2025







